L’archive, une stratégie esthétique

 

Une « histoire de fantômes pour adultes » : c'est ainsi qu'Aby Warburg définit le Mnemosyne Atlas sur lequel il travaille à partir de 1924 et jusqu'à sa mort en 1929. Cet atlas est composé de panneaux thématiques sur lesquels Warburg accroche des images hétéroclites (photographies, reproductions de tableaux anciens, coupures de presse, etc.) sans aucune explication didactique. Warburg écrit une histoire visuelle des images par le montage de ces images elles-mêmes, intégrées dans des séquences complexes dont le sens de lecture n'est pas donné. Il s'agit de "fabriquer des hétérogénéités en vue de dys-poser la vérité dans un ordre qui n'est précisément plus l'ordre des raisons mais celui des correspondances, des affinités électives, des déchirures ou des attractions. Façon d'exposer la vérité en désorganisant, donc en compliquant tout en l'impliquant et non en expliquant les choses." (Georges Didi-Hubermann, Quand les images prennent position, 2008)

C'est dans cette croyance chez Warburg de la possibilité offerte par le montage des images elles-mêmes sans autre information ajoutée, en tout cas sans information factuelle et fonctionnelle, sans la médiation d'un commentateur autre que le monteur qui organise ces images que s'origine le cinéma de montage d'archives. Chaque film d'archives est en effet une tentative de relecture historique des images d'une époque par le réagencement de ces images mêmes, extraites de leur flux habituel de lecture et qui offre alors aux réalisateurs et surtout aux spectateurs un nouvel espace de lecture et d'interprétation équivoque. Il s'agit de sortir ces images habituellement inscrites dans un flot audiovisuel qui guide leur lecture, il s'agit de les décontextualiser et d'essayer de leur redonner une valeur propre. Il s'agit de plus, par l'agencement d'images qui n'ont pas été créées pour être montées ensemble, de créer de nouveaux intervalles entre elles, intervalles où, selon Warburg, peut « s'inscrire l'exercice de la pensée ».

Dans le cinéma de montage d'archives, le montage justement est rendu lisible, apparent. Par conséquent, un film de montage ne peut pas rendre invisibles les motivations politiques qui conduisent à sa réalisation. Par défaut, il prend parti. Au minimum il prend parti contre les normes visuelles dominantes et donc contre les idéologies dominantes sur lesquels sont basées ces normes visuelles. Dans un deuxième mouvement, chaque film de montage d'archives interroge la construction même des images qui lui servent de matériaux. Et dans un troisième temps, tout film de montage d'archives interroge par opposition et par contre coup les cadres de monstrations habituels des images que ce film utilise. Il s'agit alors en donnant à voir le montage même du film et en faisant apparaître les lignes de constructions des images utilisées de rendre aussi lisible ce pseudo naturalisme du montage télévisuel ou du cinéma classique comme fabrication.

Il s'agira alors pour les cinéastes d'inverser, le temps d'un film, le processus idéologique dominant et d'offrir des contre-visions qui ont, elles, au moins l'honnêteté d'afficher leurs convictions poétiques et  politiques.

Le nombre de travaux expérimentaux utilisant des archives est si important que toute proposition de visite guidée de Gama se révélerait lacunaire. Je vous proposerais donc plutôt une liste de quelques réalisateurs représentatifs des recherches contemporaines sur les archives.

-Klaus vom Bruch : The Duracell Tape, 1980 ; Airspirit, 1981
-Martin Arnold : Passage à l'acte, 1993
- Johan Grimonprez : D.I.A.L. History, 1997
- Augustin Gimmel :  Genève,  2004 ; Extracorpus, 2004 ; Fig.4, 2004
- Nicolas Provost : Papillon d'amour, 2003 ; Bataille, 2003 ; Gravity, 2007

 

Jean-Gabriel Périot
Gama, juin 2009
wiki.gama-gateway.eu/index.php/Guided_tour_:_Documentation_as_an_aesthetic_strategy